Tu ne te rappelles-tu pas ?

Montent les immeubles. Poussent les terres. Tombent les immeubles. Poussent les terres. Terre. Ça ronge la Terre. Ça pousse la Terre. Terre défaite.

Ecoute, dans les villes ça pousse. Les immeubles ont des toits végétaux. Mais il n’y a plus d’arbres dans la plaine. Et dans les calanques les boues coulent toujours. Et le long du champ se creuse un parking. Pourtant, si tu montes tout en haut des immeubles, tu verras qu’il y a des arbres sur les toits et des plantes qui retombent sur les façades. Ça ne tombait pas avant les plantes. Quand elles poussaient elles montaient, montaient, montaient. Maintenant elles chutent. Comme si elles voulaient rejoindre la Terre.

Tais-toi. La pierre est lacérée. Elle plie comme le tissu trempé sur la chair. Quelles griffes peuvent écorcher la chair de la pierre ? Hors des villes, hors des campagnes, il y a des territoires mi-humains mi-naturels. Dans le creux d’une carrière de pierre, nous sommes dans le manteau d’une matière terrestre moulée par nos machines. Terrés dans un terrier anthropisé.

Respire. Le blizzard de sable. La pierre broyée s’envole. Le roc devenu poussière découvre la lumière qui le brûle, découvre le vent qui le fouette.

Entends chuter les arbres, ils tombent au champ d’honneur. Quelle gloire ? La canopée disparaît, il n’y a plus d’ombre dans les pinèdes. Sa terre s’échauffe, ses racines se désagrègent. Retournée sur elle-même, sa surface s’enterre tandis que sa terre refait surface. Elle est couverte de boursouflures. La terre a la lèpre. Arrache ses plaies, arrache.

La foule hurle, leurs cris résonnent encore dans mes os. Je sens leurs échos dans ma poitrine. Ils ragent.

La machine est lancée, graissée par la sueur du libre-échange. Ses fondations sont sclérosées par les privilèges, elle rouille sur elle-même, pétrifiant le squelette de son système mondialisé. Elle vibre dans une litanie si régulière qu’on ne reconnait plus sa musique. Moi je l’entends. C’est comme un tremblement dans l’air. Si tu l’écoutes trop fort, elle peut pénétrer ton épiderme en s’incrustant sous tes ongles et tes paupières. Son vrombissement t’oblige à garder les yeux baissés.

Montent les immeubles. Poussent les terres. Tombent les immeubles. Poussent les terres. Terre. Ça ronge la Terre. Ça pousse la Terre. Terre défaite.

Sibylle DUBOC, écrit pour être performé le 18 mai 2019.

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s