Fossile photographique du Bombyx du murier, béton et émulsion photosensible, 2019.
<< Sur la plage de Cayenne, en Guyane française, j’ai trouvé, échouée sur la plage, une bête au corps de murène et à la tête d’oiseau, munie de dents longues et pointues. Je l’ai prise en photo et l’ai montrée aux habitants des villages amérindiens que je traversais durant mon périple. Chasseurs et pêcheurs depuis des générations, ils m’assuraient que la faune guyanaise n’avait aucun secret pour eux, et que cette bête que je leur montrais n’existait pas en Guyane. A chacune de mes arrivées dans un village, les habitants faisaient circuler ma photo, se concertaient et en concluaient que cet animal n’existait pas.
La plage de Cayenne se trouve à l’embouchure des fleuves qui traversent la forêt amazonienne, et par elle, qui traverse des sites d’orpaillages qui pullulent dans la région et rejettent les produits chimiques directement dans les fleuves. Les sites d’orpaillages illégaux rejettent du mercure, et les sites d’orpaillage légaux, du cyanure. Le littoral autour de Cayenne est par endroit si pollué que personne ne s’y baigne car le risque de contamination chimique est trop grand. Les amérindiens, dont la pêche est l’unique moyen de subsistance, sont en grande partie contaminés, ou dépendent des aides alimentaires pour survivre.
Cette bête, échouée à cet endroit, ne serait-elle pas un mutant, né de notre surexploitation des ressources naturelles ? Création humaine involontaire, conséquence de notre industrialisation exponentielle irréfléchie et de l’exploitation des hommes sur d’autres hommes. Son image tirée sur du béton, matériau de prédilection de notre société moderne, apparaît comme le fossile de notre écosystème du futur. Bête innommable, j’ai laissé le dernier mot au système de reconnaissance de Google Image qui, faute d’échelle et dénué d’esprit critique, a identifié la bête comme étant un Bombyx du Murier, soit un ver à soie. >>
Sibylle Duboc 